Pollution de l’air – le conte de deux cités

21 septembre 2017

Londres et Beijing. Des capitales qu’un monde sépare, mais touchées par un fléau commun et mortel : la pollution de l’air. Dans le monde, la pollution atmosphérique provoque plus de 4 millions de décès par an, dont jusqu’à 9.000 chaque année à Londres (il n’existe pas de statistiques municipales officielles pour la ville de Beijing). Elle constitue le quatrième facteur de risque de maladie dans le monde, et contribue à un grand nombre de MNT : maladies cardiovasculaires (maladies du cœur et accidents vasculaires cérébraux), bronchopneumopathie chronique obstructive (emphysème et bronchite chronique inclus), l’asthme de l’enfant, les cancers et la démence, et affectent la qualité de vie au quotidien de millions de personnes. Alors que font ces deux capitales pour lutter contre la pollution ? 

La pollution atmosphérique à Londres

La pollution atmosphérique n’est pas un phénomène nouveau. En 1952, on estime que le Grand brouillard de Londres a tué 4.000 personnes en quelques jours seulement, et a contribué, au total, à 12.000 morts et à une augmentation de 50% des hospitalisations et de plus de 150% des hospitalisations pour maladies respiratoires. Le principal polluant était le dioxyde de soufre, avec les familles qui se rassemblaient autour du foyer alimenté à la houille, et les centrales à charbon situées près du fleuve au cœur de la ville. Le brouillard a été l’élément déterminant qui a poussé le gouvernement à agir : le Clean Air Act (loi sur la qualité de l’air) de 1956 a mis en place des « zones de contrôle de la fumée », les habitants ont reçu de généreuses subventions afin de se convertir aux combustibles sans fumée et les centrales électriques ont été déplacées à l’extérieur des zones urbaines et sont passées au gaz (plus propre). 

Alors pourquoi la pollution de l’air est-elle encore un problème pour Londres ? Une partie de la réponse se trouve dans les efforts, bien intentionnés, menés ces vingt dernières années pour passer des voitures à essence aux véhicules diesel, qui produisent moins de dioxyde de carbone et contribuent donc moins au changement climatique, mais qui sont aussi une source de dioxyde d'azote (NO2) et de particules fines (PM), dont on sait depuis les années 90 qu’elles sont néfastes pour la santé. Ceci est à peine visible à moins de s’élever très haut au-dessus de la ville, où on peut distinguer une légère brume marron. Mais ces dernières années, on a commencé à prendre conscience que cela ne pouvait pas continuer, avec des photos de jeunes enfants debout devant leur école portant des masques qui faisaient la une de l’Evening Standard de Londres.

 

La pollution atmosphérique à Beijing

Les problèmes de pollution à Beijing sont plus récents qu’à Londres, en effet, la Chine avait mis  en place des normes sur la qualité de l’air ambiant dans les années 80, des années avant que la demande en industrie, transport et énergie n’atteigne un niveau tel que la pollution atmosphérique ne devienne une menace pour la santé des habitants de la ville. À partir de l’an 2000, cependant, la pollution de l’air est devenue un problème réel, et les Jeux olympiques de 2008 ont représenté un tournant en termes de prise de conscience et d’action. Avant cette date, les données sur la qualité de l’air avaient été maintenues confidentielles, mais en 2008, l’Ambassade des États-Unis a commencé à tweeter au sujet des niveaux de pollution, induisant enfin le gouvernement à rendre les données publiques et à reconnaître le problème. 

 La pollution atmosphérique est la "plus grande urgence de santé publique de notre génération" - Sadiq Khan, Maire de Londres.  

La conformité des émissions est à présent vigoureusement suivie et, tout comme au Royaume uni dans les années 50, les centrales électriques industrielles ont été déplacées vers l’extérieur des villes les plus touchées, les fours les plus propres sont encouragés, et des efforts sont déployés en vue de passer du charbon au gaz naturel. Le diesel est moins un facteur de pollution qu’à Londres : il y a moins de voitures diesel et la population a été encouragée à acheter des véhicules électriques (obtenir une plaque d'immatriculation est difficile à Beijing mais jusqu’à très récemment il n’y avait pas eu de restrictions de ce type pour les véhicules électriques, qui ne sont pas soumis aux règles restreignant l’utilisation des voitures pendant les pics de pollution). Cependant, la croissance très rapide de l’achat de marchandises sur internet, livrées en grande partie par des camions diesel, pourrait avoir un impact sur ce type pollution.

 

Passer à l’action

Ni l’une ni l’autre des deux villes ne reste les bras croisés. Au Royaume-Uni, la pression publique exercée sur les gouvernements locaux et nationaux pour qu’ils passent à l’action a récemment pris de l’ampleur, notamment concernant le NO: une rue à Londres a dépassé sa limite annuelle de NO2 dans les cinq premiers jours de 2017. Quand le gouvernement a tenté de retarder la publication d’un plan national sur la qualité de l’air, l’organisation militante Client Earth l’a poursuivi en justice, en prétendant que le délai était déjà inacceptable, et les juges lui ont donné raison. Le résultat de cette action a été le plan de la qualité de l’air pour le dioxyde d’azote qui a, toutefois, essuyé des critiques pour avoir négligé le court terme et laissé l’action entre les mains des autorités locales. Ce mois-ci (septembre), un rapport présenté au Conseil des droits de l’homme par le rapporteur spécial des Nations unies sur les incidences des substances dangereuses et des déchets toxiques sur les droits de l’homme a répété que le gouvernement « continuait à bafouer son devoir d’assurer une qualité de l’air adéquate et de protéger les droits à la vie et à la santé de ses citoyens » (§ 31). Le maire de Londres a exprimé ouvertement ses inquiétudes quant à la pollution dans sa ville, et a procédé à l’introduction d’une redevance quotidienne de 10 £ à partir du mois d’octobre pour les véhicules les plus polluants, ainsi qu’à la création de zones de bus à faible taux d’émission. 

 

En Chine, le plan d’action 2013-2017 pour la pollution atmosphérique a fixé des objectifs pour la pollution de l’air (et notamment la diminution de 10% au moins de la concentration de PM10, les particules en suspension de moins d’un 100e de mm, dans toutes les villes) avec des cibles spécifiques pour les régions les plus affectées du pays, notamment l’Est industriel. À Beijing, les niveaux moyens de PM2,5 (particules en suspension de moins d’un 400e de mm) devaient diminuer et passer de 89,5μg/m3 en 2013 à 60μg/m3 (encore bien au-dessus de la ligne directrice de l’OMS de 10μg/m3 de moyenne annuelle). La société chinoise étant ce qu’elle est, les décrets gouvernementaux sont rapidement mis en œuvre et considérés comme bons pour le plus grand nombre (en revanche, on peut imaginer qu’une décision suggérant que seules les voitures portant des plaques d’immatriculation impaires, ou même numérotées, puissent circuler dans les rues de Londres ne serait pas bien accueillie dans la société britannique, plus individuelle !). Beijing est peut-être en passe d’atteindre ses objectifs, et de nouvelles cibles seront fixées prochainement, mais la ville a encore un long chemin à parcourir. Certains jours, la pollution de l’air est tellement mauvaise que les écoles sont fermées, et des familles déménagent pour s’installer dans des zones où l’air est plus sain, les concentrations de PM2,5 pouvant atteindre 1.000μg/m3.

 

L’avenir

Londres est peut-être « en avance de plusieurs longueurs » sur Beijing en termes d’accomplissements, mais la partie n’est pas encore gagnée, et le Professeur Jim Zhang estime que : 

"Si historiquement Londres avait beaucoup à apprendre à Beijing sur la façon d’utiliser les législations et les technologies en vue d’améliorer la qualité de l’air, le succès colossal des vélos en libre-service et de l’utilisation de véhicules électriques et de flottes de bus à gaz naturel comprimé à Beijing peut donner à Londres matière à réflexion."

L’engagement des citoyens maintiendra la pression sur le gouvernement afin qu’il tienne ses promesses. À Beijing, les habitants sont tout à fait conscients de la menace qui pèse sur la santé : les jours où la brume est particulièrement intense ils sont nombreux à porter un masque et de nombreux foyers possèdent un purificateur d’air. Dans les deux pays il existe des apps qui envoient des alertes pour prévenir les résidents en cas de pic de pollution. Au Royaume-Uni, la première Journée nationale de l’air pur a eu lieu en 2017, avec la pollution de l’air comme une tendance forte sur les réseaux sociaux, plus de 200 évènements organisés par des volontaires, et des centaines d’organisations encourageant les salariés, étudiants, patients et résidents à adopter des mesures pour améliorer la qualité de l’air.

" Une enquête d’opinion menée pour la Journée nationale de l’air pur a montré que 85% du public pense qu’il est important d’affronter la question de la qualité de l’air et 65% serait disposé à payer une contribution mensuelle pour financer les mesures d’amélioration de la qualité de l’air. Ce niveau d’engagement donne un mandat clair aux autorités nationales et locales pour qu’elles prennent des mesures ambitieuses en vue de rapidement bonifier la qualité de l’air avec le soutien du public." 

Le militantisme citoyen peut contribuer à construire les données de base à travers l’utilisation de kits de suivi (disponibles par ex. auprès de Friends of the Earth), et la campagne Unmask my City (Démasque ma ville) encourage les professionnels de la santé à s’engager. 

Enfin, il convient de rappeler que Londres et Beijing ne sont que des villes individuelles : les problèmes liés à la pollution atmosphérique dépassent largement leurs périmètres. Des plans tels que la suppression progressive complète des voitures et fourgons diesel au Royaume-Uni d’ici 2040, et le fait que la Chine envisage de stopper la production de tous les véhicules diesel et essence doivent être adoptés et mis en œuvre au plan national, et sans tarder. 

Merci au Professeur Jim Zhang (Université Duke aux États-Unis et Université Duke Kunshan en Chine) et à Chris Large (Global Action Plan, organisation coordinatrice de la Journée nationale de l’air pur).

 

A propos de l’auteure : 

Katy Cooper (@healthkaty) travaille dans le domaine de la prévention des MNT depuis 2005, jusqu’à la fin de 2016 en tant que directrice adjointe chez C3 Collaborating for Health, et à présent en tant que consultante indépendante et écrivaine. Elle s’intéresse plus particulièrement aux questions se trouvant au croisement entre la prévention des MNT et les sujets liés aux droits humains et environnementaux.