Agriculteur en Inde

La santé mentale : le meilleur investissement que le monde n'a jamais fait

6 octobre 2022

Sans santé mentale, il ne peut y avoir de véritable santé physique. Ces mots ont été prononcés il y a un demi-siècle par le Dr Brock Chisholm, psychiatre et premier Directeur général de l'Organisation mondiale de la Santé. Et pourtant aujourd'hui, la santé mentale continue d'être négligée par tous les pays du monde, et ce malgré la pandémie de COVID-19 qui en a souligné l’importance.

Les troubles mentaux, neurologiques et liés à la consommation de substances psychoactives (MNS) englobent un large éventail de maladies et d'affections telles que la dépression, la schizophrénie, l'anxiété, la démence, l'abus d'alcool et la toxicomanie, entre autres. On estime que 5 à 20% de la population mondiale vit avec ce type de troubles, à tout moment.

Cette estimation générale illustre à quel point la santé mentale a été ignorée et donc sous-financée dans le monde entier. Les gouvernements nationaux ne consacrent en moyenne que 2% de leurs budgets de santé à la santé mentale, et ce pourcentage est encore plus faible dans les pays en développement, où la plupart des personnes vivant avec un trouble mental ne sont jamais diagnostiquées. Et seules 15 à 25% des personnes diagnostiquées reçoivent un quelconque traitement. Des centaines de millions de personnes n'ont pas accès aux services de santé mentale et à l’accompagnement dont elles ont besoin.

L'accès au traitement n'est pas un problème réservé aux pays en développement. Bien que le nombre de cas de troubles mentaux en Angleterre soit estimé à 8,3 millions par an, seules 2,8 millions de personnes sont en contact avec les services de santé mentale. Aux États-Unis, près de 20% de la population vit avec un trouble mental, dont 56% n’est pas en mesure d'accéder à un traitement.
 

Le principal obstacle dans tous les pays, quel que soit le niveau de revenu, est le coût, car de nombreux régimes d'assurance maladie - tant publics que privés - ne couvrent pas suffisamment les soins de santé mentale, ce qui oblige les personnes vivant avec des troubles MNS à payer elles-mêmes leur traitement. D'autres facteurs, tels que la stigmatisation associée à ces troubles, empêchent également de nombreuses personnes de se faire soigner. Il en résulte non seulement de mauvais résultats en matière de santé mentale et de santé en général, mais également des pertes économiques substantielles pour les pays et l'économie mondiale.

Les troubles mentaux, neurologiques et liés à l'abus de substances (MNS) sont la principale cause d'incapacité dans le monde, ils sont responsables de 35,9% des années d’incapacité. À l'échelle planétaire, le coût de l'ensemble des troubles MNS a été estimé à 8 500 milliards de dollars et devrait doubler d'ici 2030. L'économie mondiale perd plus de 1 000 milliards de dollars par an rien qu'à cause de la dépression et de l'anxiété. Les chiffres sont similaires pour la démence : en 2015, le coût social mondial total de la démence était estimé à 818 milliards de dollars, soit 1,1% du PIB mondial ; et ce chiffre devrait monter de façon exponentielle, suivant la même courbe que le nombre de personnes vivant avec la démence, qui devrait passer de 82 millions en 2030 à 152 millions en 2050.

Certaines études ont évalué les coûts au niveau national. Ainsi, une étude réalisée en février 2022 par la London School of Economics a estimé que les coûts annuels des problèmes de santé mentale au Royaume-Uni s'élevaient à près de 118 milliards de £, provenant pour la plupart des pertes d'emploi et des coûts des soins informels. Cette estimation ne recouvre ni la démence, ni le présentéisme et l'absentéisme sur le lieu de travail, ce qui augmenterait considérablement le coût des troubles mentaux au Royaume-Uni.

Le bilan économique peut également être attribué en partie au fait que les personnes vivant avec des troubles MNS ont tendance à vivre moins longtemps. Globalement, l'espérance de vie des personnes vivant avec des troubles mentaux graves est réduite de 10 à 25 ans par rapport aux autres. Les causes de décès sont le plus souvent d'autres maladies non transmissibles (MNT), telles que le cancer, les maladies cardiovasculaires et les AVC, les maladies rénales chroniques et le diabète, qui touchent plus des deux tiers des personnes vivant avec un trouble MNS.

Il a été démontré qu'une mauvaise santé mentale peut augmenter la probabilité qu'une personne ait une mauvaise alimentation, ne fasse pas assez d'exercice physique ou consomme du tabac ou de l'alcool, ces comportements étant tous des facteurs de risque majeurs de MNT. Les comorbidités dues en partie à la santé mentale coûtent des milliards à l'économie en termes de prise en charge et d'années productives perdues, provoquant des millions de décès prématurés évitables, la charge la plus lourde pesant sur les populations les plus pauvres et marginalisées dans tous les pays.

Il en va de même aussi bien pour les maladies infectieuses que pour les MNT. Ainsi, de plus en plus d'études ont établi un lien entre les troubles de la santé mentale et un risque plus élevé de conséquences graves du COVID-19. Une étude américaine a révélé que le risque de décéder du COVID-19 est 50% plus élevé chez les personnes vivant avec des troubles mentaux, exposant ainsi les populations à un risque accru pendant la pandémie. Si nous n'investissons pas dans la santé mentale, notre santé et nos systèmes de santé seront menacés par les futures pandémies.

Il n'est toutefois pas trop tard pour agir. De nombreux problèmes de santé mentale peuvent être traités efficacement, ou mieux encore, évités. Le rapport coût-bénéfice des investissements visant à augmenter les taux de traitement des troubles MNS courants se situe entre 2,3 et 5,7 pour 1, et les mesures de prévention ont un rendement encore plus élevé. Parmi les mesures de prévention rentables, citons le changement de culture sur le lieu de travail afin de promouvoir et protéger la santé mentale, offrir différentes possibilités de faire de l’exercice destinées à tous les groupes d'âge et l’intégration des programmes de lutte contre le harcèlement en milieu scolaire dans les programmes scolaires. La moitié des troubles mentaux apparaissent avant l'âge de 14 ans et les trois quarts au milieu de la vingtaine, ce qui signifie qu'il est crucial d'adopter une approche de la santé mentale tout au long de la vie.

Les troubles MNS constituent un problème de santé publique majeur, avec de graves conséquences économiques et sanitaires pour la société dans son ensemble, et les gouvernements doivent de toute urgence investir prioritairement dans leur traitement et leur prévention. C'est un investissement qui promet d'être très rentable - sur le plan économique, pour notre santé, et pour la préparation et la résilience aux pandémies.

Cet article a été initialement publié sur le profil LinkedIn de la NCDA.