Les allégations de santé des préparations de lait maternisé sont dépourvues de données probantes et perpétuent un marketing agressif qui enfreint la réglementation
21 février 2023
21 février 2023
« De nombreux ingrédients étaient censés avoir des effets similaires sur la santé ou la nutrition, un même type d’ingrédient faisait l’objet de nombreuses allégations, la plupart des produits ne fournissaient pas de références scientifiques pour appuyer les allégations, et les allégations mentionnées n'étaient pas étayées par des données solides issues d'essais cliniques », a constaté le BMJ
Malgré de multiples tentatives pour réglementer ces pratiques commerciales, les progrès sont lents, selon le rapport dont les conclusions sur le marketing sont reprises dans une nouvelle série d'articles publiés dans la revue The Lancet. Le BMJ recommande la création d'un « cadre réglementaire révisé » afin de protéger les consommateurs du « marketing agressif » des entreprises, qui gagnent environ 55 millions de dollars par an dans le monde.
Les preuves des avantages de l'allaitement maternel sont solides : l'allaitement renforce le système immunitaire des enfants et les protège plus tard contre l'obésité, les caries dentaires et d'autres maladies non transmissibles (MNT) liées à l'alimentation, comme le cancer. L'allaitement réduit également le risque pour les femmes de développer un diabète, une obésité et certains types de cancer. Il joue également un rôle dans la lutte contre la malnutrition sous toutes ses formes, y compris la dénutrition.
Le BMJ indique que selon des estimations, ne pas allaiter conformément aux standards mondiaux « entraînerait chaque année environ 600 000 décès d'enfants dus à la pneumonie et à la diarrhée et 100 000 décès maternels des suites d’un cancer des ovaires ou du sein. »
L'OMS et l'UNICEF recommandent de commencer l'allaitement maternel dans l'heure qui suit la naissance, d'allaiter exclusivement les enfants pendant les six premiers mois de leur vie et d'introduire à partir de l'âge de six mois des aliments complémentaires sûrs et adaptés au plan nutritionnel, tout en poursuivant l'allaitement jusqu'à l'âge de deux ans ou plus.
Mais l'industrie du lait maternisé déploie depuis longtemps des efforts extraordinaires pour présenter ses produits comme des substituts sains du lait maternel. Une étude récente qui s'est penchée sur l'allaitement dans les villes d'Asie a révélé que près d'un tiers des nouvelles mères interrogées au Cambodge (31,7%) ont déclaré avoir vu des publicités pour les préparations pour nourrissons dans les hôpitaux et autres établissements de santé. Il s'agissait pour la plupart d’équipements de santé sur lesquels étaient apposés les logos des entreprises ou des marques.
Selon la nouvelle série du Lancet, « depuis des décennies, l'industrie des préparations pour nourrissons commerciales emploie des stratégies de marketing sournoises, conçues pour exploiter les craintes et les préoccupations des parents, afin de transformer l'alimentation des nourrissons et des jeunes enfants en un commerce juteux de plusieurs milliards de dollars... Les pratiques de marketing douteuses de l'industrie - qui enfreignent le Code de l'allaitement - sont aggravées par le lobbying exercé sur les gouvernements, souvent de manière clandestine sous couvert d'associations commerciales et de groupes de pression, contre le renforcement des lois de protection de l'allaitement et la remise en cause des réglementations relatives aux normes alimentaires. »
Le « Code » est le code international de commercialisation des substituts du lait maternel, adopté par l'Assemblée mondiale de la Santé en 1981 en vue de protéger les mères contre le marketing agressif de l'industrie des aliments pour bébés. Mais il est volontaire et « malheureusement, seuls 25 pays ont mis en œuvre des mesures qui y sont sensiblement alignées », ont indiqué l'OMS et l'UNICEF dans une déclaration à l’occasion du 40e anniversaire du Code en 2021.
Le résultat de ce déluge de marketing de lait maternisé ? « Seuls 48% des nourrissons et des jeunes enfants dans le monde sont nourris au sein conformément aux recommandations », indique un article de commentaire dans la série de The Lancet. Et il poursuit : « La série fournit des preuves de l'influence écrasante du marketing des préparations commerciales pour nourrissons, qui présente ces préparations comme un choix positif et la panacée à tous les problèmes d'alimentation, sapant ainsi les pratiques d'allaitement. »
Plus de la moitié des parents et des femmes enceintes (51%) interrogés dans le cadre d’un rapport publié en 2022 par l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) et l'UNICEF ont déclaré avoir été ciblés par le marketing des entreprises de lait maternisé. Parmi toutes les femmes interrogées pour le rapport, l'exposition au marketing atteint 84% au Royaume-Uni, 92% au Viet Nam et 97% en Chine.
« Les messages de marketing renforcent les idées reçues autour de l'allaitement maternel et du lait maternel, qui sont fréquemment répétées par les femmes », indique le rapport de l'OMS et de l'UNICEF. « Parmi ces idées reçues : la nécessité du lait maternisé dans les premiers jours après la naissance, l'insuffisance du lait maternel pour l'alimentation du nourrisson, l'idée que le lait maternisé rassasie le nourrisson plus longtemps et que la qualité du lait maternel diminue avec le temps. »
L'industrie est également connue pour avoir tiré profit de la pandémie de COVID-19, en suggérant faussement que le lait maternisé était « plus sûr » ou « nécessaire » pour protéger les enfants du COVID-19 dans certains pays, ou en incluant des substituts du lait maternel dans des dons - des pratiques qui enfreignent le Code international.
Lors de la réunion de l'AMS en 2022, les États membres ont demandé à l'OMS d’élaborer des orientations sur les mesures réglementaires visant à restreindre les pratiques de commercialisation par voie numérique et à soutenir davantage la mise en œuvre du code. Attendues en 2024, ces orientations auront pour objectif d’aider les États membres à mettre à jour ou en œuvre des réglementations plus complètes sur les préparations pour nourrissons qui tiennent compte de la commercialisation par voie numérique, car jusqu'à 80% de l'exposition à la publicité pour les substituts du lait maternel se fait en ligne.