Mental Health Infographic. Image from Pixabay

De la maladie au handicap: changer d’optique dans le débat sur la santé mentale au Nigeria

30 juin 2020

Alors que je me prépare à prendre 20 mg d’escitalopram, un antidépresseur, je ne peux pas m’empêcher de me demander à quel moment exact, quelle décision précise, a modifié le cours de mon existence. C’est en novembre 2015 que pour la première fois j’ai naïvement formulé à voix haute les pensées qui circulaient dans ma tête. J’ai dit, l’air de rien : « Est-ce que vous avez parfois tout simplement envie de mourir ? » La réaction fut éloquente. Ce n’était pas normal. Je ne pouvais pas exprimer de telles pensées. « Comment peux-tu dire une chose pareille ? Tu devrais être reconnaissante d’être en vie ». Reconnaissante ? Bien sûr que je l’étais. J’avais un emploi plutôt bien payé en tant qu’analyste de recherche dans une société d’investissement et je suis issue d’une famille de la classe moyenne. Alors d’où venaient ces sombres pensées qui m’assaillaient en mon for intérieur et dont je n’arrivais pas à me défaire ?

Toutes les « maladies » ne sont pas égales

À la maison, j’évitais les réunions familiales, je parlais moins et on disait de moi que j’étais paresseuse et d’humeur changeante. Au travail, j’ai commencé à « perdre » des bribes de ma journée, j’arrivais à peine à comprendre les informations et de façon générale je « fonctionnais » très mal. Du moins c’est ce que je pensais. Ce qui est pire que ressentir des sensations inexplicables, c’est de les affronter seule. C’est de devoir dire « je vais bien » alors que, de toute évidence ce n’est pas le cas et de convenir que « ce n’est qu’un mauvais moment à passer » lorsque des personnes bien intentionnées deviennent mal à l’aise et ne trouvent plus les mots pour me réconforter.

« Trouble affectif bipolaire et trouble de stress post-traumatique », a dit le psychologue. Je me souviens du soulagement que j’ai éprouvé en sachant que tout cela était « une maladie ». Cela voulait dire qu’il m’arrivait quelque chose. En même temps, je me suis rapidement aperçue que toutes les maladies n’étaient pas égales. Et qu’un diagnostic de trouble mental s’accompagnait de la possibilité d’être pointée du doigt, et que mes proches le soient également, par association. Cela signifiait aussi que je devais prouver quelque chose qui était invisible pour beaucoup de gens. Cela signifiait que si je me mettais légitimement en colère, on remettrait constamment en cause ma santé mentale. Vous voyez bien, toutes les « maladies » ne sont pas égales.

Surmonter la stigmatisation des maladies mentales

Vivre avec une « maladie mentale » c’est être dans une lutte permanente avec une expression qui est associée depuis longtemps à la « folie », la pénitence de la sorcellerie, et quelque part ne pas être assez fort pour gérer ce que tous les autres surmontent. C’est, d’une certaine manière, se rendre compte qu’on a trébuché alors que tout le monde a résisté à la tempête.

Alors que mon travail visant à donner une voix à la santé mentale au Nigéria continue à évoluer, je suis sans cesse confrontée à de nouvelles façons d’aborder la santé mentale. Et pas seulement en raison de mon diagnostic, mais pour les presque 60 millions de Nigérians qui vivent avec des « troubles mentaux », selon le ministère fédéral de la Santé. Il y a quelque chose dans le fait de qualifier les troubles mentaux de « maladies » qui me gêne depuis longtemps. Quelque part, cela signifie que quelque chose « ne va pas » chez nous.

Personnellement, je considère mon expérience de vie comme étant...différente. Je trouve qu’avec une juste compréhension, les aménagements appropriés et l’environnement adéquat, je m’épanouis sans limite. Alors, y a-t-il quelque chose qui « ne va pas » chez moi ? Ou bien suis-je « différente » et cette différence n’est pas encore bien comprise par tous ? Et tandis que je menais une lutte interne au Nigéria, les réponses à mes questions figuraient sans que je le sache dans l’une des conventions majeures des Nations Unies, élaborée 11 ans auparavant.

« Reconnaissant que la notion de handicap évolue et que le handicap résulte de l’interaction entre des personnes présentant des incapacités et les barrières comportementales et environnementales qui font obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres. » (Convention relative aux droits des personnes handicapées de l’ONU, Préambule). 

Ce fut une révélation! Tout prenait un sens.

Je suis différente. Nous sommes différents.

Il n’y a rien qui « ne va pas » chez nous.

Changer de perspective sur la santé mentale

« Par personnes handicapées on entend des personnes qui présentent des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres » (Convention relative aux droits des personnes handicapées de l’ONU, 2006, p.5).

Forte de cette libération, je suis entrée dans l’histoire au Parlement nigérian le 17 février 2020 en tant que première personne ouvertement atteinte d’un trouble mental/une incapacité psycho-sociale à y témoigner.

Alors pourquoi en ce jour fatidique ai-je donné l’impression que je n’étais pas en accord avec la Loi sur la santé mentale que le Nigéria attendait depuis si longtemps ? Voilà comment je vois les choses : lorsque nous changeons d’optique et commençons à voir les troubles mentaux comme des handicaps et non plus des maladies, tel que l’établit la Convention relative aux droits des personnes handicapées de l’ONU, les conséquences en termes de solutions, de politiques et de droits humains changent elles-aussi radicalement.

Lorsque mon trouble n’est plus considéré comme quelque chose qui ne va pas chez moi, mais comme un ensemble de qualités auxquelles mon environnement doit encore s’adapter, les personnes atteintes de troubles mentaux ne sont plus considérées comme un problème devant être réglé, guéri et résolu. Par extension, notre condition d’être humain passe avant notre trouble. Nous déplaçons alors l’axe des solutions et des politiques en passant de corriger les personnes à corriger l’environnement.

Voilà pourquoi nous devons volontairement réexaminer le débat sur la santé mentale au Nigéria et la manière dont ce débat forge notre identité en tant que personnes atteintes de troubles mentaux et d’incapacités psycho-sociales.

À propos de l’auteure

Hauwa Ojeifo est une jeune leader et défenseure du domaine de la santé mentale et de la violence sexuelle au Nigéria qui a reçu de nombreuses récompenses. Elle a fondé She Writes Woman dont elle est actuellement la Directrice générale. Plus récemment, Hauwa a été sélectionnée pour le Programme Young Health et est devenue ambassadrice de One Young World. Hauwa partage également ses réflexions sur les réseaux sociaux @hauwa_ojeifo et on peut lui envoyer des courriels à : [email protected].