Maîtriser les arcanes de la diplomatie : réflexions sur l'AGNU 78 et la Réunion de haut niveau sur la couverture sanitaire universelle
26 octobre 2023
26 octobre 2023
À l’issue de la 76e Assemblée mondiale de la Santé (AMS) en mai dernier, je m’étais penchée sur les impacts potentiels des développements politiques à Genève concernant l'Organisation mondiale de la Santé, et la manière dont ils pourraient potentiellement peser sur les processus de l’ONU à New York, en particulier la Réunion de haut niveau et la Déclaration politique sur la couverture sanitaire universelle (CSU).
Plusieurs États membres avaient profité de l'Assemblée mondiale de la Santé pour examiner les synergies entre les MNT et la CSU. J'avais toutefois noté dans ce blog que l’avant-projet de Déclaration politique sur la CSU avait été publié avant même que l'Assemblée mondiale de la Santé ne discute des agendas de la CSU et des MNT, de sorte que le texte ne contenait pas de mesures visant à promouvoir les politiques intersectorielles et ne reflétait pas les discussions qui s’étaient déroulées à Genève.
Nous espérions que les États membres combleraient le fossé entre New York et Genève lors de la première série de commentaires et demanderaient que ce nouveau texte sur la CSU reprennent et reflète les discussions de l'AMS.
Oui et non. L’Alliance sur les MNT, comme beaucoup d'autres responsables et défenseurs, a eu une réaction mitigée devant la Déclaration politique. Alors que la Déclaration politique de 2019 avait jeté les bases conceptuelles de la CSU, cette année a été une occasion manquée d'adopter un texte pour faire progresser les cadres politiques et réglementaires en vue d’accélérer la mise en œuvre du programme...
Il est encourageant de constater que les MNT, troubles de la santé mentale compris, ont été beaucoup plus mentionnées dans le texte de 2023. Et bon nombre de ces mentions ont été substantielles : par exemple, la reconnaissance de l'importance d’intégrer la prévention et les services liés aux MNT dans le continuum des soins. Ces ajouts montrent que les États membres sont de plus en plus conscients des liens entre les différents programmes de santé mondiaux.
Toutefois, le simple fait de mentionner à plusieurs reprises les « maladies non transmissibles » dans le texte ne peut pas être le seul indicateur de progrès. Il est regrettable qu’aucun progrès n’ait été accompli sur la formulation des parties du texte concernant le financement de la santé, un élément crucial pour concrétiser ces engagements politiques. Ceci offre aux États membres une occasion d'intensifier leurs efforts pour mettre en œuvre ces engagements, tant au niveau national que dans le cadre d'une collaboration internationale.
La reconnaissance des personnes vivant avec des MNT en tant que groupe vulnérable, autre revendication majeure, n'a pas été incluse dans le texte de la Déclaration politique. Au sein du système des Nations Unies, la définition de la vulnérabilité et des groupes vulnérables est un moyen pour les États membres de reconnaître la nature discriminatoire de certaines structures et institutions au sein des pays qui limitent la capacité d'un groupe à voir ses droits humains pleinement reconnus, protégés et respectés au regard du document.
Reconnaître les personnes vivant avec des MNT comme une population vulnérable aurait signifié que les États membres s’étaient engagés à accorder une attention particulière aux besoins et à la situation de ces personnes dans le cadre de la mise en œuvre de la CSU. Cette omission représente un défi majeur pour l'équité en santé et les droits de la personne humaine en raison du fossé qu'elle peut potentiellement créer en termes d'accès aux systèmes de santé nationaux.
Pour illustrer le concept de « vulnérabilité », nous pouvons nous pencher sur le cas des populations réfugiées. Permettre aux réfugiés d'accéder aux systèmes de santé nationaux n'est pas une mesure acceptée par tous les États membres et n'est donc pas systématiquement mise en œuvre. Certains pays, comme la Jordanie, ont choisi d'étendre l'accès aux soins de santé aux réfugiés dans le cadre de leurs efforts de mise en œuvre de la CSU, mais sans mentionner explicitement certains groupes, et parfois, d'autres pays limitent l'accès ou appliquent des coûts financiers inégaux à l'accès aux soins. Cette approche n'est ni vraiment universelle, ni un pas dans la bonne direction vers le renforcement de la prévention et de la maîtrise des MNT, compte tenu de ce que nous savons de la corrélation entre les déterminants sociaux et économiques de la santé et la morbidité liée aux MNT.
Le sentiment qui prévalait semblait être le soulagement de voir que des textes avaient au moins été approuvés, des défis de dernière minute ayant semé la confusion et jeté le doute sur les processus. Bien que la négociation de la Déclaration politique sur la CSU ait été, aux dires de tous, diplomatique et que les cofacilitateurs aient été félicités pour la manière habile et respectueuse avec laquelle ils ont mené les débats, le « silence » - période pendant laquelle les États membres ne poursuivent pas les discussions sur le texte - a été rompu à deux reprises, ce qui signifie que certaines délégations avaient des objections de fond et souhaitaient poursuivre les discussions.
Ces objections, qui portaient notamment sur la santé et les droits sexuels et reproductifs (SDSR), les sanctions et la propriété intellectuelle (ou ADPIC), en plus des plaintes de procédure, ont persisté jusqu’à la semaine de haut niveau. Au cours de cette période, une note verbale a été envoyée au Président de l'Assemblée générale, dans laquelle les signataires indiquaient leur intention de s'opposer à l'adoption de toute Déclaration politique lors des Réunions de haut niveau. Ceci a suscité une grande confusion, car les textes n'étaient même pas destinés à être adoptés formellement par l'Assemblée générale au cours de la réunion. Si la note peut être considérée comme une prise de position politique, elle illustre un problème plus vaste et persistant, à savoir la polarisation et la politisation accrues au sein du système de l'ONU, qui transforme des questions généralement épineuses en impasses et qui signale un recul de la volonté de s'engager de manière constructive dans les processus diplomatiques.
Lors de la Réunion de haut niveau à proprement parler, plusieurs États membres ont inclus la prévention et la maîtrise des MNT et des maladies chroniques dans leurs interventions. Il s’agissait notamment de pays de la CARICOM (la Communauté des Caraïbes) ainsi que du Bangladesh, de l'Estonie, de la France, du Kazakhstan, du Moldova, du Sénégal, de la Slovaquie, de l'Afrique du Sud, de la Tanzanie, des États-Unis, de l'Ouzbékistan et du Zimbabwe.
La diversité de ces États membres montre que les liens entre les MNT et l’accomplissement de la CSU sont de plus en plus reconnus, mais aussi que la volonté politique de prendre des mesures concrètes en faveur de l'intégration des MNT monte en puissance. Si l'on examine la semaine dans son ensemble, un leadership de haut niveau supplémentaire s'est manifesté dans le domaine des MNT lors d'événements parallèles, et notamment lors de la deuxième réunion des chefs d'État et de gouvernement dans le cadre du Pacte mondial sur les MNT. Cette réunion a permis d'ajouter une douzaine d'États membres à la liste des pays qui gagnent du terrain en matière de MNT dans le cadre de leurs initiatives de CSU.
En gardant à l'esprit les points sensibles des négociations de cette année, il est possible de tirer des leçons essentielles sur la manière dont nous pouvons, en tant que défenseurs, mieux nous préparer à la RHN sur les MNT de 2025. Il est clair que la lutte contre la polarisation croissante entre les États membres ne se limitera pas à des questions telles que les SDSR. Elle concerne également la recherche d'un consensus malgré l'aggravation des clivages politiques dans les processus multilatéraux, afin d'éviter les bouleversements de dernière minute lorsque viendra le tour des MNT dans deux ans !
D'un point de vue pratique, je pense que pour répondre au souhait et à la position des États membres à New York de maintenir les discussions techniques à Genève et de se concentrer sur les composantes politiques et thématiques de la santé à New York, nous devrons aborder le processus de la RHN d'une manière adaptée et spécifique aux appétits, aux intérêts et aux fonctions de l'Assemblée générale afin de faire progresser nos objectifs clés. Je ne sais pas exactement quels sont ces objectifs, mais j'ai hâte de les développer grâce aux contributions et aux consultations du réseau de l'Alliance sur les MNT dans les mois à venir.
Marijke Kremin (@MarijkeKremin) est responsable des politiques et du plaidoyer de la NCDA. Basée à New York, elle est chargée de la question des politiques de financement et du plaidoyer auprès des Nations Unies. Avant cela, Marijke a travaillé dans le domaine de la paix et de la sécurité internationales et des droits humains, et plus particulièrement sur le genre et le programme FPS (pour les femmes, la paix et la sécurité), la prévention des atrocités de masse et la protection des civils dans les conflits armés. Elle a également travaillé dans l’assistance juridictionnelle et le plaidoyer en faveur des réfugiés et des demandeurs d’asile au Cap, en Afrique du Sud.