Air pollution | © Foto-Rabe from Pixabay

Lutter contre la pollution atmosphérique à des fins de santé publique : les leçons de la lutte antitabac

31 octobre 2019

La plupart des gens s’accordent à dire qu’ils ne pourraient pas revenir à l’époque où la fumée de cigarette envahissait les restaurants, les bureaux, voire les avions. Un jour peut-être pourrons-nous parler de la pollution atmosphérique de la même manière, mais les gouvernements devront suivre un chemin identique pour y arriver.

Nous savons désormais que la pollution atmosphérique, en grande partie provoquée par la production et la combustion de combustibles fossiles, s’infiltre dans toutes les parties du corps et provoque de nombreuses maladies mortelles. Alors pourquoi ne voyons-nous pas d’affiches avec d’horrible photos et des avertissements signalant que les combustibles fossiles tuent, chaque fois que nous nous arrêtons pour faire le plein ? La lutte antitabac n’a pas été simple (et elle est loin d’être finie), mais certaines mesures majeures et salvatrices ont été prises. Grâce aux politiques adoptées par les gouvernements ainsi qu’aux conventions internationales telles que la Convention-cadre de l’OMS sur la lutte antitabac de 2003, les avertissements, les campagnes antitabac, les espaces sans tabac et les taxes supplémentaires sur les produits du tabac sont désormais monnaie courante. Pourquoi n’avons-nous pas fait de même pour la pollution atmosphérique?

Un chemin difficile : affronter l’industrie des combustibles fossiles

Selon l’Organisation mondiale de la Santé, le tabac tue plus de 8 millions de personnes(lien externe) chaque année, dont environ 1,2 millions chez les non-fumeurs qui subissent les conséquences du tabagisme passif. La pollution atmosphérique fait quant à elle environ 7 millions de victimes(lien externe) chaque année, dont aucune n’a décidé sciemment de respirer un air pollué.

Nous savons désormais que la pollution atmosphérique toxique, provoquée en grande partie par la combustion de combustibles fossiles, s’infiltre dans chaque cellule du corps. Les femmes et les enfants sont les plus touchés en raison de leur plus forte exposition à la pollution de l’air intérieur, responsable de 4 millions de décès chaque année, essentiellement en Afrique et en Asie, où les combustibles fossiles servent à cuisiner dans des espaces mal ventilés. L’air pollué affecte même les fœtus. Et pourtant, la production et consommation de combustibles fossiles n’est toujours pas abordée comme une question de santé publique.

Étant donné les dégâts que la combustion des combustibles fossiles cause à notre santé, aux écosystèmes et au climat, nombreux seront surpris d’apprendre que nos gouvernements continuent de fortement subventionner cette industrie. Les gouvernements du monde entier soutiennent les combustibles fossiles à hauteur de près de 300 milliards de $, via des subventions avant impôts. Et pourtant ces combustibles génèrent plus de 2 700 milliards de $ de frais de santé. Bien sûr, l’industrie va se battre comme si sa vie en dépendait (mais sans égards pour nos vies à nous) pour conserver un soutien si généreux.

Nous avons vu de quelle manière les industries des produits nocifs pour la santé ont réagi aux contestations des militants des MNT. L’industrie du tabac a mis au point l’art et la manière d’influencer les politiques afin de faire passer les intérêts des entreprises avant la santé publique. Des tactiques similaires ont depuis été employées par les lobbies de l’alcool, de la malbouffe, des boissons sucrées et des pollueurs, dont les combustibles fossiles. Pensons par exemple au PDG de Shell qui a prétendu la semaine dernière dans les médias qu’il n’existait pas d’alternative à l’investissement dans les combustibles fossiles, parce que c’est ce que les consommateurs réclament. Ce sont des arguments qui nous rappellent ceux de l’industrie du tabac il y a des décennies. Mais les consommateurs et les électeurs d’aujourd’hui sont bien plus avisés et bien moins disposés à accepter d’être désignés comme étant les responsables du bilan de ces produits meurtriers. Nous assistons au contraire à une vague sans précédent de protestations dans le monde entier, nouvelle génération en tête, contre la pollution atmosphérique, l’effondrement climatique et les extinctions.

Sortir des combustibles fossiles

La lutte contre la pollution atmosphérique et l’industrie des combustibles fossiles ne fait que commencer, mais elle est bien partie. En reconnaître les bénéfices rapides sur la santé permettra d’accélérer la transition. En 2018, l’Organisation mondiale de la Santé a reconnu que la pollution atmosphérique était un facteur de risque majeur pour la santé, au même titre que le tabac, l’usage nocif de l’alcool, la mauvaise alimentation et la sédentarité. Un certain nombre d’initiatives nationales et locales ont également été lancées avec succès.

Certaines de ces initiatives figurent dans le rapport 2019 de l’Alliance sur les MNT intitulé Burning Problems, Inspiring Solutions (des solutions pleines d’enseignements pour résoudre des problèmes brûlants), notamment la réforme des subventions aux énergies fossiles en Indonésie, et la sortie du charbon en Ontario. On peut également tirer d’importantes leçons des « pionniers », ceux qui ont pris des mesures innovantes pour cesser de soutenir et d’utiliser les combustibles fossiles, notamment la France qui a adopté une loi en 2017 visant à interdire toute exploration et extraction pétrolière et gazière d’ici 2040. Début 2018, l’Irlande a pris les premières mesures pour adopter une législation similaire.

La Nouvelle-Zélande et le Bélize ont annoncé la fin des activités d’exploration gazière et pétrolière off-shore, et en mai 2018 le tout nouveau président du Costa Rica a annoncé un plan visant à interdire de façon permanente les combustibles fossiles et à faire du Costa Rica le premier pays entièrement décarboné.

Ce ne sont que certaines des mesures phares prises dans le monde qui peuvent nous inspirer et nous guider dans la lutte contre la pollution atmosphérique due aux combustibles fossiles. Certains grands domaines d’action ont par ailleurs été identifiés. Il s’agit notamment de :

  • désigner et traiter les combustibles fossiles comme la cause profonde de la pollution et des MNT qui en résultent, tout comme cela a été fait avec le tabac. Cela implique également de sensibiliser la population, au-delà des effets sur l’environnement, aux effets nocifs pour la santé de la combustion des énergies fossiles, tant au plan local que mondial.

  • légiférer et mettre en œuvre des mesures gouvernementales pour infléchir la production et la consommation de combustibles fossiles, à l’aide des nombreux instruments disponibles, notamment en ajustant les prix du marché grâce à une réforme des subventions, des mesures fiscales et l’introduction de réglementations interdisant la production et la consommation de certains produits spécifiques.

  • Définir des plans de transition adaptés, justes et équitables pour sortir des produits nocifs pour la santé, tout en reconnaissant les besoins des groupes qui dépendent du pétrole, du gaz et du charbon, qu’il s’agisse de consommateurs ou de salariés.

La victoire contre l’industrie des combustibles fossiles ne sera pas facile (à l’instar d’autres industries de produits nocifs pour la santé). Toutefois, comme pour le tabac et les boissons sucrées, les preuves d’un lien entre pollution par les combustibles fossiles et recrudescence des MNT sont indéniables. Les progrès sont peut-être lents, mais en faisant preuve de patience et de persévérance, le changement sera possible.

À propos de l’auteure

Nina Renshaw est Directrice des politiques et du plaidoyer de l’Alliance sur les MNT, chargée de piloter, développer, mettre en œuvre et gérer le travail politique et de plaidoyer de la NCDA dans le monde entier. Nina a plus de douze ans d’expérience en politiques et plaidoyer internationaux dans différents domaines tels que l’environnement, les transports, la politique industrielle, la fiscalité et la santé. Elle a démarré sa carrière dans le privé, dans le secteur du voyage et de la logistique, avant de poursuivre dans le secteur public à la Direction générale de l’énergie et des transports de la Commission européenne. Avant de rejoindre l’Alliance sur les MNT, elle était, à Bruxelles, la Secrétaire générale de l’Alliance européenne de la santé publique (EPHA) après avoir été Directrice adjointe du groupe d’action Transport & Environnement.