Accords internationaux pour éviter les MNT : état des lieux, propositions, et effets possibles

6 avril 2020

Could legally binding treaties help bridge the accountability gap? And if so, what are the current and potential opportunities to use them to enhance accountability for NCDs? En février dernier, j’ai participé au troisième Forum mondial de l'Alliance sur les MNT, à Sharjah (EAU), aux côtés de 400 représentants de la société civile de 85 pays différents.

Le forum cherchait à « réduire les écarts » entre les promesses formulées au niveau international pour lutter contre les maladies non transmissibles (MNT) et les mesures prises au plan national. Dans un document de travail récent, l’Alliance sur les MNT articule la question autour de cinq écarts spécifiques: leadership, investissement, soins, mobilisation communautaire et responsabilisation.

L’écart en matière de responsabilisation pour la mise en œuvre de programmes et politiques liés aux MNT a été mentionné à de nombreuses reprises lors des séances auxquelles j’ai assisté pendant le forum, et notamment au cours de l’un des ateliers que j’ai coorganisés au nom du McCabe Centre for Law & Cancer. L’une des idées évoquées pour résoudre ce problème consistait à exploiter davantage les traités internationaux juridiquement contraignants pour renforcer la responsabilisation.

Les traités juridiquement contraignants pourraient-ils contribuer à réduire l’écart en matière de responsabilisation ? Et dans ce cas, quelles possibilités actuelles et potentielles offrent-ils pour améliorer la responsabilisation en matière de MNT ? Pour entrer dans le vif du sujet, voyons quels sont les traités existants, les nouveaux traités proposés et les voies supplémentaires de responsabilisation qu’ils pourraient apporter.

Je vais principalement aborder ici les propositions concernant la réglementation des facteurs de risque des MNT, bien qu’il existe également de nombreux traités et avant-projets de traités portant sur la prise en charge des MNT. Dans ce post, j’emploie les termes « accord international », « traité », « convention », « cadre juridiquement contraignant » et « convention-cadre » de façon essentiellement interchangeable.

Quels accords internationaux régissent actuellement la riposte aux MNT ? 

Les spécialistes des MNT connaissent probablement bien la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac (CCLAT), qui rassemble 181 parties prenantes pour lutter contre « les effets sanitaires, sociaux, environnementaux et économiques dévastateurs de la consommation de tabac et de l'exposition à la fumée du tabac ».

Depuis son entrée en vigueur, il y a 15 ans, la CCLAT a eu un impact majeur sur l’action nationale et la coopération internationale autour de la lutte contre l’épidémie mondiale de tabagisme, en accélérant l’adoption de nouvelles lois antitabac et en les défendant face aux actions en justice intentées par l’industrie du tabac. C’est à ce jour le seul traité que l’Assemblée mondiale de la Santé a adopté en sa capacité à négocier des conventions internationales.

Les pays sont également tenus, au titre des traités portant sur les droits humains tels que le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, de protéger et promouvoir le droit à la santé, notamment via l’adoption de politiques de prévention et traitement des maladies fondées sur des données factuelles, et de rendre compte de leurs progrès. De nombreuses sociétés civiles utilisent ces mécanismes de contrôle afin de faire en sorte que leurs gouvernements agissent en matière de MNT. Des organisations de la société civile des Amériques ont ainsi présenté au Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes des rapports alternatifs préconisant une lutte antitabac accrue en Argentine (qui n’a pas ratifié la CCLAT), et ont participé à des audiences devant la Commission interaméricaine des droits de l’homme afin de garantir la responsabilisation du secteur privé pour la commercialisation de denrées mauvaises pour la santé.
 

Les pays sont également tenus de préserver et de promouvoir le droit à la santé.... au titre des traités relatifs aux droits humains. 

Avec la reconnaissance, en 2018, de la pollution atmosphérique comme facteur majeur de risque des MNT, et la prise de conscience croissante de l’impact environnemental des systèmes alimentaires et de la production de tabac, le droit international de l’environnement prend de plus en plus d’importance au regard des MNT. Ainsi, le préambule de l’Accord de Paris de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques reconnaît l’importance du droit à la santé et ses liens avec le climat, tandis que la Convention sur la pollution atmosphérique transfrontière à longue distance (CPATLD) et l’Accord de l’ASEAN sur les nuages de pollution transfrontières exigent des mesures d’atténuation de la pollution atmosphérique en Europe et en Asie du Sud-Est. Étant donné les causes communes entre changement climatique et pollution atmosphérique, tant l’Accord de Paris que les conventions sur la pollution atmosphérique transfrontière sont essentiels pour s’attaquer à la pollution atmosphérique en tant que facteur de risque des MNT, et les traités environnementaux peuvent également fournir des possibilités de coalition autour d’autres facteurs de risque.

Quelles sont certaines des propositions de nouveaux accords internationaux sur les MNT ?

De nombreux traités calqués sur le modèle de la CCLAT ont été proposés pour d’autres facteurs de risque des MNT. Citons, entre autres, une proposition de Convention-cadre sur la lutte anti-alcool et une Convention mondiale sur l’alimentation saine. À l’instar de la CCLAT de l’OMS, ces traités auraient pour objectif de garantir la mise en œuvre de mesures au plan national, aborder les problématiques liées à la mondialisation des entreprises qui vendent des denrées mauvaises pour la santé et établir de nouvelles enceintes de coopération internationale et de partage d’informations.

D’autres propositions visent à intégrer plus clairement les MNT dans les accords internationaux existants. Des experts en santé et droits humains ont récemment publié une lettre ouverte appelant l’OMS et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) à adopter des lignes directrices portant sur les droits humains relatives aux systèmes alimentaires sains et durables, sur le modèle des Directives internationales concernant le VIH/SIDA et les droits de l’homme adoptées par ONUSIDA et le HCDH à la fin des années 90 et au début des années 2000. Les groupes qui œuvrent dans le domaine de la santé et de l’environnement intensifient leur coopération pour s’assurer que la mise en œuvre de l’Accord de Paris maximisera les co-bénéfices pour la santé, tandis que les États parties à la CPATLD ont récemment amendé l’un des protocoles de la convention afin de couvrir les matières particulaires, l’un des principaux éléments de la pollution atmosphérique ayant un impact sur la santé.

Des accords internationaux extérieurs au secteur de la santé peuvent également faire avancer la cause des MNT. Citons ainsi l’appel lancé récemment par la Commission OMS-UNICEF-The Lancet intitulée « Quel avenir pour les enfants du monde ? », en faveur d’un nouveau protocole pour la Convention sur les droits de l’enfant, qui couvrirait le marketing nuisible ciblant les enfants, notamment le marketing de produits mauvais pour la santé ou la publicité nuisible sur les réseaux sociaux.
 

Des accords internationaux extérieurs au secteur de la santé peuvent également faire avancer la cause des MNT.

Le secteur de la santé pourrait également s’inspirer de propositions créatives relatives au commerce et à l’environnement, et notamment de l’Accord sur les changements climatiques, le commerce et la durabilité actuellement négocié par la Nouvelle-Zélande, Fidji, le Costa Rica, l’Islande et la Norvège dans le but de sortir progressivement des subventions aux énergies fossiles, réduire les barrières commerciales pour les marchandises environnementales telles que les panneaux solaires et harmoniser les pratiques en matière d’étiquetage environnemental. Des négociations sont par ailleurs en cours au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, pour l’adoption d’un traité sur les entreprises et les droits de l’homme qui aura des implications sur la réglementation du secteur privé au regard des MNT.

Les traités vont-ils offrir des voies supplémentaires de responsabilisation ?

Dans la pratique, ces instruments juridiquement contraignants offrent-ils davantage de possibilités de demander des comptes aux États ? Ou ne s’agit-il que de nouvelles promesses au plan international, avec les mêmes lacunes de mise en œuvre que les engagements politiques non contraignants ?

Réponse : cela dépend du traité. De nombreux traités créent des mécanismes de responsabilisation, et notamment :

  • des systèmes de reporting permettant d’assurer le suivi des engagements (ils existent dans le cadre de la CCLAT et des traités environnementaux) ;

  • de nouvelles enceintes d’engagement politique (telles que les conférences des parties de la CCLAT et des traités environnementaux) ;

  • des mécanismes de contrôle de la mise en œuvre permettant d’identifier les lacunes et d’y remédier (ils sont fréquents en droit de l’environnement et en droit relatif aux droits humains et sont testés dans le cadre de la CCLAT) ;

  • l’accès à un système formel de règlement des litiges à l’échelle internationale (généralement entre États, mais s’agissant des traités relatifs aux droits humains, il peut exister entre des particuliers et l’État) ;

  • la création de nouveaux mécanismes nationaux de responsabilisation (prévue dans certains traités relatifs aux droits humains).

Cependant, instituer un traité ne garantit pas en soi l’existence de mécanismes de responsabilisation robustes. La façon dont le nouveau traité sera contrôlé, mis en œuvre, révisé et appliqué devra être négociée et convenue par les pays concernés. Au plan international du moins, convenir d’un instrument juridiquement contraignant n’implique pas automatiquement un mécanisme de responsabilisation robuste - les pays peuvent convenir d’obligations juridiques sans s’engager à en surveiller étroitement l’application.

À l’inverse, les pays peuvent convenir de mécanismes de responsabilisation, notamment des critères de transparence et de suivi, sans nécessairement assumer de nouvelles obligations juridiques. Parmi les systèmes non juridiques de reporting et de suivi en matière de MNT, citons le Suivi des progrès dans la lutte contre les MNT, de l’OMS (pour les meilleurs choix de l’OMS en matière de MNT), le Rapport de l’OMS sur l’épidémie mondiale de tabagisme (qui analyse la mise en œuvre d’un sous-ensemble de politiques de la CCLAT par tous les membres de l’OMS, y compris les États non parties) et les Revues nationales volontaires des ODD.

Cela étant, les obligations juridiques formelles peuvent souvent faire la différence au plan national, même lorsqu’elles ne font l’objet que d’une application souple au plan international. Dans de nombreux pays, un traité contraignant peut ouvrir des voies qu’un instrument non contraignant n’offrira pas, telles que permettre à la société civile de présenter un recours devant les tribunaux nationaux afin d’imposer l’adoption de lois et de politiques plus fermes, d’obliger juridiquement les pouvoirs publics à aligner leurs actions sur le traité ou encore de modifier l’interprétation des droits constitutionnels. Les constitutions nationales incluent souvent des obligations juridiques internationales, mais pas les engagements politiques internationaux. En outre, les traités peuvent être plus solidement intégrés dans des mécanismes politiques nationaux de responsabilisation, car ils peuvent être négociés sur de longues périodes par un échantillon plus large de ministères et parce que leur processus de ratification et de mise en œuvre implique souvent un contrôle parlementaire (même si, à l’inverse, il peut être alors plus difficile d’obtenir des engagements fermes de leur part).

Dans l’ensemble, la gouvernance mondiale des MNT est variée, et tous les accords existants et potentiels évoqués ici comportent des opportunités et des limites quant à leur possibilité de faire progresser la responsabilisation en matière de MNT. Mais comprendre quelles sont les options possibles au plan international, et la manière dont elles pourraient fonctionner, peut nous aider à réfléchir à la mise en œuvre de la lutte contre les MNT au plan national et, ce faisant, combler l’écart entre les deux.

À propos de l’auteure

Suzanne Zhou est conseillère en politique juridique au McCabe Centre for Law & Cancer, où elle s’attache à aider les pays à adopter et promouvoir des lois et des politiques de prévention des MNT, et à assurer une cohérence politique entre la santé et le droit économique international. Suzanne est juriste internationale de formation. Elle a travaillé pour le rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à la santé et pour Lawyers Collective, une ONG basée à New Delhi et spécialisée dans le VIH et les droits humains. Elle est diplômée de l’université de Cambridge, de l’université de Melbourne et de l’Académie de droit international de La Haye. Vous pouvez la suivre sur Twitter à @zhousuzanne.

Ce blog « Accords internationaux pour éviter les MNT : état des lieux, propositions, et effets possibles » a été initialement publié en ligne sur le site du McCabe Centre for Law & Cancer.