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Faire face à la charge de la rétinopathie diabétique et à la pénurie de personnel sanitaire : coup de projecteur sur le transfert de tâches

14 novembre 2020

La rétinopathie diabétique (RD) est une maladie non transmissible (MNT) et constitue la cause principale de cécité irréversible dans la population mondiale en âge de travailler, elle a donc de graves conséquences sur les foyers et les économies. Cependant, il est possible d’éviter et de gérer la RD en mettant en place des mécanismes de dépistage régulier, de détection précoce et de traitement, ainsi que grâce à une gestion optimisée de la glycémie et de la tension artérielle. 

On estime qu’à l’échelle planétaire, 463 millions de personnes vivent avec le diabète et sont plus à risque de développer des complications aigues et de mourir d’une maladie infectieuse, comme nous l’avons vu avec le COVID-19. La RD est l’une des complications les plus communes du diabète, avec d’autres affections oculaires telles que la cataracte et le glaucome. Plus d’un tiers des personnes atteintes de diabète développent une RD et si rien n’est fait, on estime qu’environ 180 millions de personnes dans le monde auront une RD d’ici 2030.

D’après les règles des moitiés (rules of halves), nous savons que le nombre réel de personnes vivant avec le diabète est bien plus élevé que les cas diagnostiqués, et que toutes les personnes diagnostiquées ne reçoivent pas, et de loin, la prise en charge adéquate ni les cibles de traitement ou les résultats souhaités. Une tendance similaire peut être observée concernant l’accès des personnes au dépistage de la RD et à un diagnostic rapide et précis.

« J’ai une vision floue depuis qu’on m’a diagnostiqué un diabète de type 2 en 2013. Mais on ne m’a jamais diagnostiqué de RD jusqu’à présent car il n’existe pas d’unité de RD dans mon état (Imo) » - Chimezie Anyiam, membre du Blue Circle Voices de la FID, Nigéria

Transfert des tâches : le personnel infirmier, paramédical et les optométristes peuvent jouer un rôle important pour la RD

Les personnes atteintes de diabète ont souvent peur de perdre la vue ou un membre inférieur. Pour éviter cela, sensibilisation, dépistage précoce et traitement rapide sont cruciaux. Le personnel infirmier est en première ligne pour contrôler le diabète et ses complications, il est donc bien placé pour détecter les problèmes tôt. La Fédération international du diabète (FID) veut reconnaître le rôle que le personnel sanitaire de première ligne a joué au cours de cette année difficile, en dédiant la Journée mondiale du diabète (14 novembre) au personnel infirmier, et exhorte les gouvernements et les organisations sanitaires à investir dans le recrutement d’infirmiers plus nombreux et dans leur formation. 

En effet, le temps est venu de mener une réflexion sur le rôle que non seulement le personnel infirmier mais également d’autres prestataires de soins de santé tels que les agents paramédicaux et les optométristes, peuvent avoir dans la prévention et la gestion du diabète et de la RD. On dispose de données de plus en plus nombreuses qui montrent la rentabilité des interventions de dépistage de RD si leur couverture est élevée ; mais il n’y a tout simplement pas assez d’ophtalmologues pour atteindre le taux de couverture nécessaire dans la population et dépister régulièrement les signes de RD auprès de chaque personne atteinte de diabète.

« Je suis atteint de plusieurs comorbidités mais celle-ci [la RD] est celle qui m’affecte le plus. Sans les compétences de mon optométriste et de mon ophtalmologue, j’aurais pu devenir aveugle avant d’avoir 50 ans. J’ai des difficultés mais je peux encore voir à 52 ans » - Michael Donohoe, membre du Blue Circle Voices de la FID, États-Unis

Le transfert de tâches peut effectivement améliorer le taux de diagnostic rapide et précis de RD. Il s’agit de transférer des taches à d’autres professionnels de la santé moins qualifiés qui reçoivent une formation axée sur les compétences en vue de réaliser des tâches spécifiques (en l’occurrence, infirmiers, agents paramédicaux et techniciens). Cependant, la faisabilité, la sécurité et l’efficacité de ces interventions de transfert de tâches dépend du cadre et du niveau de formation reçue, de la technologie et des techniques utilisées et de la capacité du personnel sanitaire à procéder à des orientations et à toucher les populations reculées en milieu rural.

Ainsi, la Fondation Fred Hollows a formé des infirmiers dans des services de santé oculaires d’hôpitaux tertiaires ainsi que des auxiliaires de santé dans des cliniques spécialisées dans le diabète au Bangladesh pour qu’ils puissent mener des examens de la rétine pour rechercher des signes de RD. Les auxiliaires de santé ont été formés à identifier les personnes qui devraient être orientées vers des examens plus poussés à l’aide de caméras manuelles portables faciles à utiliser et moins chères que les rétinographes habituellement utilisés par les spécialistes en ophtalmologie.

L’accès aux technologies et techniques adaptés est crucial

Le niveau de formation requis pour le transfert de tâches dépend de la technologie et des techniques disponibles :

  • L’ophtalmoscopie directe et indirecte donne une vision adéquate de la rétine, où on peut trouver des signes de RD. Mais elle exige une solide formation et une expérience étendue.  

  • La mydriase (dilation de la pupille) peut faciliter l’examen de la rétine, mais le temps nécessaire au dépistage est plus long et des professionnels autres que les ophtalmologues peuvent ne pas être autorisés à administrer les gouttes ophtalmiques.

  • Le dépistage par rétinographie non-mydriatique améliore la qualité et la précision du dépistage, mais les rétinographes manquent souvent dans les centres de santé primaire des PRFI. L’utilisation d’imagerie non-mydriatique de la rétine par différents professionnels grâce à des caméras portables moins chères peut contribuer à accroître la couverture des programmes de dépistage. Il est possible de former des personnes autres que des ophtalmologues à prendre des images rétiniennes et à les évaluer à l’aide de caméras portables, mais il est également possible de recourir à des moyens alternatifs. Ainsi, les images peuvent être envoyées à un ophtalmologue qui posera le diagnostic à distance. La technologie basée sur l’intelligence artificielle peut également permettre de détecter des signes de RD sur des images rétiniennes, mais ceci exige des investissements en santé numérique (interventions et technologies).

Une couverture étendue : le catalyseur ultime

Ceci nous amène à un autre point essentiel : sans une couverture étendue et une stratégie axée sur la communauté, investir dans le transfert des tâches et la technologie de dépistage de RD ne suffira pas. Nous devons examiner la proportion de personnes vivant avec le diabète qui ont accès à des services de dépistage de RD, mais également identifier les personnes qui pourraient ne pas être conscientes de leur maladie ou des risques pour leur santé. Ainsi, la Fondation Fred Hollows a soutenu un programme au Pakistan en vue de former les agents de santé communautaires à sensibiliser et identifier les personnes à risque de développer une RD pour les orienter vers un centre de soins de santé primaires où elles pourront être dépistées par un optométriste formé. Le programme a également investi dans un système d’orientation qui coordonne les cliniques du diabète avec des services médicaux spécialisés dans la rétine, ainsi que dans un logiciel pour les aider dans la gestion des données et le traçage des patients.

Ces interventions peuvent effectivement réduire les souffrances de millions de personnes. Voilà pourquoi une intégration plus poussée de la prise en charge du diabète, des interventions ophtalmologiques et d’autres services de MNT dans les systèmes de santé est nécessaire dans le cadre des parcours suivis par les pays vers la Couverture sanitaire universelle. Bien que des progrès considérables aient été réalisés ces dix dernières années, il reste des écarts en termes de responsabilisation, leadership, investissements, soins et mobilisation communautaire dans la riposte aux MNT qui peuvent être comblés grâce à l’amélioration de la gestion des données, à la volonté politique, à l’investissement dans la santé numérique, à une prise en charge intégrée, au transfert des tâches et à des interventions axées sur la communauté qui placent les personnes au cœur.

Auteurs

Président du Conseil de la Fondation Fred Hollows depuis 2016, l’Honorable John Brumby AO a été Premier ministre du Victoria de 2007 à 2010 et ministre des Finances de 2000 à 2007. Il a été nommé Officier de l’ordre d’Australie en 2017.

Président de la Fédération international du diabète, le Professeur Andrew Boulton est un éminent spécialiste des complications du membre inférieur liées au diabète.

Directrice Générale de l’Alliance sur les MNT, Mme Katie Dain est largement reconnue comme étant une défenseure et experte majeure des MNT et son expérience couvre une série de sujets liées au développement durable, dont la santé mondiale, le diabète, l’égalité des genres et la santé des femmes.