La journée mondiale sans tabac à l’époque de la crise du coronavirus

1 juin 2020

La pandémie de COVID-19 a bouleversé la vie de la plupart de la population mondiale dans presque tous les domaines. Les données sur la vulnérabilité à la COVID-19 sont encore nouvelles, mais il apparaît clairement que les personnes souffrant de maladie chronique sous-jacente présentent un risque plus élevé. La plupart de ces maladies, telles que les affections cardio-vasculaires ou respiratoires, le cancer et le diabète, sont plus fréquentes chez les fumeurs (1) et utilisateurs de tabac.

Le pronostic des fumeurs serait également moins bon en cas d’hospitalisation pour COVID-19, car le tabagisme est un important facteur de risque d’infections et de complications respiratoires pendant le rétablissement (2)(3). Et bien que le tabagisme fasse 8 millions de victimes par an, l’industrie du tabac continue d’alimenter cette pandémie.

On a récemment comparé la pandémie de tabagisme à une « COVID-19 au ralenti » (4). Les preuves abondent sur le lien entre tabagisme et pronostic défavorable. Le tabagisme attaque les voies respiratoires supérieures, affaiblit le système immunitaire pulmonaire et augmente donc la sensibilité aux infections. Les fumeurs courent deux fois plus de risques de contracter des infections et de présenter des symptômes plus graves. Une hausse du risque infectieux et de la mortalité avait également été enregistrée chez les fumeurs lors de la précédente épidémie de CoV-MERS (6)(7).

Tabagisme et risque de COVID-19

L’OMS a élevé la COVID-19 au rang de pandémie en mars 2020, tout en soulignant que les fumeurs risquaient d’être plus vulnérables en raison de : (a) l’inhalation de produits toxiques présents dans les cigarettes et (b) la fréquence à laquelle ils portent la main à la bouche. Fumer exacerbe les conditions qui limitent la capacité de l’organisme à utiliser l’oxygène, ce qui expose les patients à un risque accru de pneumonie. L’OMS a également souligné que les produits du tabac tels que les pipes à eau nécessitent souvent le partage des embouts et des tuyaux, facilitant ainsi la transmission de la COVID-19 dans les milieux communautaires et sociaux(1). La consommation de tabac sans fumée (TSF) est elle aussi associée à un risque accru de COVID-19, en raison du besoin de cracher après avoir chiqué des produits de TSF. Certains de ces produits nécessitent de mélanger les ingrédients avec les doigts, ce qui augmente là encore le risque de contagion.

Des données étayent la théorie d’un risque accru de progression de la COVID chez les fumeurs

Une méta-analyse a récemment révélé un lien significatif entre tabagisme et progression de la COVID-19. 29,8% de 218 patients fumeurs ont développé des complications, contre 17,6% de patients non-fumeurs (8). Des données provenant de Chine ont également mis en lumière que la probabilité de progression vers une forme grave de la maladie était 14 fois plus élevée chez les patients ayant des antécédents de tabagisme que chez ceux n’ayant jamais fumé (2). Les données révèlent également une vulnérabilité liée au genre : les hommes contaminés en Chine présentaient des taux de mortalité par COVID-19 plus élevés que ceux des femmes. Cela peut être dû à la prévalence plus élevée du tabagisme chez les hommes chinois (45% consomment quotidiennement du tabac, contre seulement 2% des femmes). Une revue de littérature récente sur le comportement tabagique et les cas de COVID-19 en Chine (9) indique que la progression de la maladie entraîne davantage d’hospitalisations en soins intensifs, de recours à la ventilation assistée et de décès chez les anciens fumeurs et fumeurs actuels que chez les non-fumeurs (2). 

Nouvelles études et désinformation de la part des industriels du tabac

Deux études récentes ont prétendu que la nicotine protégeait les fumeurs contre la COVID-19 et pouvait même servir de traitement contre le coronavirus. Largement relayées dans les médias, ces études ont dérouté l’opinion publique, voire entraîné des achats frénétiques de substituts nicotiniques. Ces études présentent des faiblesses méthodologiques et l’un des auteurs de l’une d’entre elles avait un conflit d’intérêt

L’OMS a réitéré sa position sur le tabagisme et la COVID-19 en réunissant un groupe d’experts en santé publique. Leur revue de littérature a confirmé que les fumeurs risquent davantage de développer des symptômes graves ou de décéder de la COVID-19, car la maladie attaque principalement les poumons. Les données restent insuffisantes pour confirmer un lien quelconque entre tabac ou nicotine et prévention et traitement de la COVID-19. 

Politiques de lutte antitabac pendant la pandémie de COVID-19

Depuis que l’épidémie de COVID-19 a éclaté, les pays ont adopté des politiques de lutte antitabac adaptées à leur situation. Certains, tels que l’Iran, le Koweït, le Pakistan, le Qatar et l’Arabie Saoudite, ont interdit l’utilisation de pipes à eau afin d’éviter la transmission de la COVID-19. L’Afrique du Sud a interdit la vente de cigarettes, de tabac à priser, de narguilés et de cigarettes électroniques afin de protéger les salariés de toute la chaîne logistique de ces industries. L’Inde a interdit la vente et la consommation de tout produit du tabac dans les lieux publics. La consommation de TSF dans les lieux publics est punie d’amende, afin d’éviter les crachats et de réduire le risque de transmission de la COVID-19. 

Ces différences sont fascinantes et certaines feront l’objet d’une nouvelle étude sur la COVID-19 et le tabac en Afrique et en Asie du Sud, réalisée par l’université d’Édimbourg en collaboration avec des partenaires au Bangladesh, en Éthiopie, au Ghana, en Inde, au Pakistan et en Ouganda. Pour en savoir plus, rendez-vous ici

Cette année, le thème de la Journée mondiale sans tabac est « Prévenir l’utilisation du tabac et de la nicotine chez les jeunes et les protéger de la manipulation mise en place par les industriels du tabac ». La manipulation des données par les industriels, la violation flagrante de l’interdiction du tabac à la télévision et au cinéma en Inde, dans les programmes disponibles en streaming très populaires chez les jeunes (12), et les attaques en justice contre l’emballage neutre des produits du tabac en Australie (13) sont autant d’exemples qui montrent que l’industrie du tabac continuera de manipuler la science, les politiques, les gouvernements et les jeunes si vulnérables. À présent que le monde a uni ses forces à la recherche de solutions contre la COVID-19, les gouvernements doivent également faire front pour mettre un terme à la manipulation par les industriels du tabac et permettre l’avènement de futures générations sans tabac.

Auteures 

Monika Arora (@DrMonikaArora), Directrice et professeure au département de la promotion de la santé de la Fondation pour la santé publique de l’Inde & Directrice générale de HRIDAY, New Delhi, Inde

Fiona Davidson, Directrice de la recherche au Usher Institute, Université d’Édimbourg

Linda Bauld (@LindaBauld), professeure de santé publique, titulaire de la chaire Bruce and John Usher, au Usher Institute, université d’Édimbourg

References 

1.        World Health Organization. Q&A: Smoking and COVID-19 [Internet]. 2020 [cited 2020 May 20]. Available from: https://www.who.int/emergencies/diseases/novel-coronavirus-2019/question...

2.        Liu W, Tao ZW, Lei W, Ming-Li Y, Kui L, Ling Z, et al. Analysis of factors associated with disease outcomes in hospitalized patients with 2019 novel coronavirus disease. Chin Med J (Engl). 2020 May 5;133(9). 

3.        Public Health England. Smokers at greater risk of severe respiratory disease from COVID-19 - GOV.UK [Internet]. 2020 [cited 2020 May 20]. Available from: https://www.gov.uk/government/news/smokers-at-greater-risk-of-severe-res...

4.        Hefler M, Gartner CE. The tobacco industry in the time of COVID-19: Time to shut it down? Vol. 29, Tobacco Control. BMJ Publishing Group; 2020. p. 245–6. 

5.        Jha P. Avoidable Deaths from Smoking: A Global Perspective. Public Health Rev. 2011 Dec 3;33(2):569–600. 

6.        Park JE, Jung S, Kim A. MERS transmission and risk factors: A systematic review. BMC Public Health. 2018 May 2;18(1):1–15. 

7.        Arcavi L, Benowitz NL. Cigarette smoking and infection. Vol. 164, Archives of Internal Medicine. American Medical Association; 2004. p. 2206–16. 

8.        Patanavanich R, Glantz SA. Smoking Is Associated With COVID-19 Progression: A Meta-analysis. Nicotine Tob Res. 

9.        Vardavas CI, Nikitara K. COVID-19 and smoking: A systematic review of the evidence. Tob Induc Dis. 2020 Mar 20;18(March). 

10.      Simons D, Shahab L, Brown J, Perski O. The association of smoking status with SARS-CoV-2 infection, hospitalisation and mortality from COVID-19: A living rapid evidence review. Qeios [Internet]. 2020 May 7 [cited 2020 May 20]; Available from: https://www.qeios.com/read/UJR2AW.3

11.      World Health Organization. WHO statement: Tobacco use and COVID-19 [Internet]. [cited 2020 May 20]. Available from: https://www.who.int/news-room/detail/11-05-2020-who-statement-tobacco-us...

12.      Arora M, Nazar GP, Chugh A, Rawal T, Shrivastava S, Sinha P, et al. Tobacco imagery in on-demand streaming content popular among adolescents and young adults in India: Implications for global tobacco control. Tob Control. 2020; 

13.      WHO FCTC, McCabe Centre for Law and Cancer. Australia’s plain packaging laws at the WTO: progress to date - WHO FCTC Secretariat’s Knowledge Hub on legal challenges [Internet]. [cited 2020 May 20]. Available from: http://untobaccocontrol.org/kh/legal-challenges/australias-plain-packagi...