Le droit relatif aux droits humains : un outil négligé pour lutter contre la charge des MNT sur les femmes
24 Mars 2023
24 Mars 2023
Partout dans le monde, les femmes et les filles vivant avec des maladies non transmissibles (MNT) rencontrent des difficultés spécifiques dans l’accès à la prévention, au diagnostic précoce, au traitement et à la prise en charge, notamment dans les milieux à faibles ressources. Ainsi, jusqu’à 75% des femmes indiennes atteintes de diabète gestationnel développeront une hyperglycémie ou un diabète de type 2 dans les cinq ans suivant l’accouchement. Bien qu’il s’agisse d’une complication bien connue de la grossesse, les femmes touchées dans les communautés rurales ne sont parfois pas identifiées en raison de la pénurie de soignants et des inégalités d’accès aux services de santé.
Les femmes sont particulièrement vulnérables face à la charge des MNT, ce qui a un impact non seulement sur leur santé, mais aussi sur leur bien-être social et économique. Bien que cette charge soit intrinsèquement sexospécifique et politique, les organisations de la société civile qui luttent contre les MNT ignorent souvent que des efforts de plaidoyer sont déployés en parallèle dans le monde par les groupes de défense des droits des femmes, des efforts sur lesquels elles pourraient s’appuyer pour avoir davantage d’impact.
Ainsi, les organisations de défense des droits des femmes jouent un rôle essentiel dans le travail d’organes conventionnels tels que le Comité pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) : des experts indépendants des droits des femmes qui surveillent la mise en œuvre par les gouvernements des politiques, programmes et lois, conformément à leurs obligations internationales en matière de droits de la personne. Environ 189 pays doivent présenter un rapport tous les quatre ans sur la mesure dans laquelle ils ont donné suite aux recommandations du CEDAW, et une étude récente montre que ces recommandations ont été très efficaces pour inciter les gouvernements à adopter ou à modifier des lois qui améliorent la santé des femmes.
Les organisations de la société civile (OSC) jouent un rôle essentiel dans le processus du CEDAW, en établissant des rapports alternatifs et des études de cas qui détaillent les droits des femmes dans chaque pays et alimentent les recommandations. Grâce à des années de sensibilisation, de lobbying, de collecte de données probantes et de création de mouvements (parfois sur plusieurs décennies) les OSC contribuent à créer des contextes propices à l’action des gouvernements quand un point de bascule est atteint, que ce soit lorsque l’opinion publique s’indigne d’une violation particulièrement choquante des droits de la personne, ou lorsque le Comité, lors des examens par pays, contraint ou persuade un gouvernement d’agir.
Bien que le processus d’examen du CEDAW se heurte à de nombreux défis (y compris l’inaction persistante des gouvernements, en particulier en matière de violences faites aux femmes), ses succès peuvent être attribués à la nature juridiquement contraignante de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, d’une part, et à la crédibilité dont les gouvernements souhaitent jouir au plan international en tant que nations respectueuses des droits, d’autre part.
Le plaidoyer autour des MNT et celui portant sur les droits de la personne ont évolué en grande partie de façon indépendante, mais ils peuvent d’avérer très complémentaires. Les gouvernements sont souvent réticents à agir contre les MNT et le CEDAW constitue un levier supplémentaire pour les groupes de la société civile. Ainsi en 2016, des groupes dirigés par la Fondation interaméricaine du cœur d’Argentine ont présenté un rapport alternatif au CEDAW pour l’exhorter à recommander au gouvernement d’interdire toute forme de publicité, de promotion et de parrainage des produits du tabac, afin d’empêcher l’industrie du tabac de cibler les femmes et les filles, et le Comité l’a fait.
Dans le même temps, l’impact des MNT tout au long de la vie des femmes est souvent négligé lors des examens du CEDAW, en raison d’un manque de participation des OSC du secteur de la santé au processus, et d’une capacité limitée à évaluer les données de santé publique de 189 pays.
Qui plus est, certains des principaux obstacles à l’élaboration de lois efficaces sur la santé des femmes sont liés à des problèmes de mise en œuvre, notamment une consultation inadéquate des femmes ; un manque d’éducation sur les normes néfastes, qui peut entraîner des conséquences non voulues ; un manque d’application des lois ; un manque d’évaluation de l’impact d’une loi sur la santé et de ses conséquences sociales ; et la fragmentation de la gouvernance et des modalités de financement, qui affaiblit l’opérationnalisation. Ce sont là des domaines dans lesquels les praticiens de la santé publique maîtrisent parfaitement la compréhension, la recherche et la communication grâce à la production de données systématiques, reproductibles et potentiellement généralisables.
Alors que les défenseurs de l’égalité des genres de tous les secteurs se réunissent à l’occasion de la Journée internationale des femmes, nous proposons trois façons pour les communautés travaillant sur les MNT et les droits des femmes de collaborer pour progresser :
Les organisations de santé peuvent jouer un rôle essentiel en relayant les voix des femmes touchées par les MNT auprès des groupes de défense des droits participant aux processus des organes conventionnels, et notamment les voix des femmes en situation de vulnérabilité, telles que celles qui vivent dans la pauvreté fondée sur le genre, et les communautés LGBTQIA+.
Ensuite, la communauté du plaidoyer autour des MNT peut fournir des données rigoureuses pour étayer le suivi et l’évaluation, par les coalitions de défense des droits des femmes qui participent au processus d’examen du CEDAW, de l’action gouvernementale sur ces maladies.
Enfin, les défenseurs des MNT peuvent fournir une expertise sur les recoupements entre santé et discrimination, et des conseils sur la façon dont les données probantes devraient être traduites en politiques, programmes et lois efficaces et acceptables.
En définitive, une telle collaboration pourrait déboucher sur une reconnaissance de la charge sociale, économique et sanitaire des MNT pesant sur les communautés négligées ; sur de nouvelles recommandations ciblées du CEDAW ; et sur l’établissement d’alliances robustes et un renforcement mutuel des capacités des deux communautés. Nous espérons que cela favorisera des conceptions juridiques et programmatiques innovantes susceptibles d’améliorer les résultats de santé pour toutes les femmes.
La Dre Janani Shanthosh est responsable du programme Santé et droits de la personne à l’Institut australien des droits de la personne (AHR). Elle est également juriste spécialisée en santé mondiale et chercheuse principale au George Institute for Global Health. Les centres d’intérêt de Janani se situent à l’intersection des systèmes de santé et des droits internationaux de la personne.
Emma Feeny est Directrice du plaidoyer mondial et de la mobilisation politique au George Institute for Global Health, où elle dirige un programme d’activités de plaidoyer, de mobilisation politique et de leadership éclairé visant à accroître l’impact de la recherche médicale et sanitaire de l’institut.
Claudia Batz est une jeune professionnelle de la santé publique avec 5 ans d’expérience dans les communications, le plaidoyer et les politiques portant sur les stratégies de prévention et de gestion des maladies non transmissibles. Elle est conseillère en politiques et plaidoyer au George Institute for Global Health, où elle travaille sur un programme portant sur les politiques, la mobilisation des parties prenantes et le leadership éclairé en vue d’accroître l’impact des recherches menées par l’institut.