Les femmes aidantes : seules et surchargées
28 avril 2023
28 avril 2023
Lorsque nous parlons d’aidantes naturelles, nous faisons référence à l’immense majorité des femmes qui prennent soin d’une personne qu’elles aiment et qui en sont le seul soutien face à la maladie, au handicap et à l’urgence. Elles remplissent ce rôle fondamental pour leurs familles et leurs communautés, sans formation, sans information, sans protection sociale ou professionnelle. Invisibles, elles trébuchent, échouent et réessayent.
Les aidants effectuent un travail qui génère une immense valeur en termes de bien-être social. Une valeur que certaines études menées en Espagne, en 2014 (bien avant la pandémie qui a tout aggravé), ont chiffré à 40 000 euros [1] par personne en situation de dépendance. Aux États-Unis, la valeur apportée par les aidants naturels (dont 75 % sont des femmes) s'élevait à 470 milliards de dollars en 2013. La valeur des soins non rémunérés a dépassé la valeur des soins à domicile rémunérés, ainsi que les dépenses totales de Medicaid la même année, et a presque égalé le chiffre d’affaires annuel de Wal-Mart, l'une des plus grandes entreprises au monde, (477 milliards de dollars) [2]. Selon une étude réalisée en 2019, le nombre d'aidants au Mexique s'élevait à 90 millions [3] de personnes de plus de 12 ans effectuant des tâches à domicile sans être rémunérées, 71 % des heures consacrées à ces soins étant assurées par des femmes. Cet énorme soutien économique des familles passe inaperçu aux yeux de l’État. À la contribution horaire s'ajoutent les coûts supplémentaires (de toutes sortes) « payés » par les aidants.
Les aidants « paient » les conséquences de l’absence de réglementation destinée à les soutenir, car seuls quelques pays sont dotés de stratégies mal mises en œuvre et peu universelles (prévention, assistance, accompagnement, etc.) qui ne protègent pas les aidants contre la perte de leur emploi, de leurs vacances, ou l’obligation de renoncer à des postes à responsabilité parce qu’ils ne peuvent pas concilier les deux tâches. En outre, les aidants renoncent progressivement à leur temps libre, à leurs loisirs et à leurs relations en raison des exigences des soins. Ils paient aussi de leur propre santé, car ils tombent physiquement et mentalement malades à cause de leur travail d’assistance. Généralement seuls et surchargés, les aidants sont les plus négligés.
Le droit à être pris en charge, à prodiguer des soins et à prendre soin de soi doit être respecté et reflété dans toutes les politiques de santé, dans la couverture sanitaire universelle et dans le continuum des soins.
Piris propose de désidéaliser les soins, mais aussi de les défamiliariser. Pour elle, l’un des piliers auquel s’attaquer est le mythe de l’amour romantique dans lequel ce sont les femmes qui doivent dispenser les soins. Nous sommes de mauvaises filles ou de mauvaises mères si nous ne voulons pas assister et soigner jusqu’à atteindre nos limites. « C’est le mythe de l’amour romantique qui est à la base de toute la violence, toute l’exploitation, toute la discrimination des femmes, et aussi de tout leur travail d’aidantes. Nous devons en finir avec ce concept des soins et la façon dont il est structuré, car il ne garantit pas les droits des personnes soignées, ni ceux des familles, ni les nôtres. Dans nos sociétés, les soins reposent sur l’exploitation des femmes. » [5]
Dans le cadre du Forum, Ana Laura Baez, infirmière et aidante formelle, et membre du Réseau latino-américain des aidants (RLC), affirme que la personne qui prodigue des soins est également blessée, son cœur est blessé parce qu’elle aime la personne dont elle s’occupe. Claudia Ramos Enciso, elle aussi membre du Réseau, explique qu’elle a été une aidante « toute sa vie » et qu’elle travaille aujourd’hui comme aidante. « Le travail s’apprend, mais ce qui est important c’est de comprendre comment nous devons prendre soin de nous, car nous sommes pour la plupart des aidantes meurtries. »
Le nombre d’aidants non rémunérés augmente dans le monde entier, et leur impact aussi, mais cela ne se reflète pas dans les politiques publiques destinées aux aidants. Selon un rapport publié en 2022 par Frontiers in Public Health [6], lorsque des politiques de ce type existent, soit elles ne se sont pas axées sur les aidants, soit elles sont fragmentées, incohérentes et inutiles. Même dans les pays où les services sont bien développés, comme l’Australie, 80 % des soins sont prodigués par les familles.
Les politiques en faveur des aidants ne devraient pas seulement alléger leur fardeau et répondre à leurs besoins, elles devraient également les accompagner dans leur épanouissement en tant que personnes. À l'heure actuelle, les politiques et les programmes mondiaux de soutien aux aidants manquent de cohérence et il n'existe pas de cadre commun. Mais, comme le dit Monin Piris, il ne s’agit pas seulement d’améliorer les conditions des aidants, de leur fournir une formation sur les soins ou une rémunération : les femmes et leurs besoins doivent être au cœur des politiques. « Je veux prodiguer des soins, je veux que l’on s’occupe de moi et je veux que l’État prenne soin de moi. Nous devons proposer une société des soins. »
L’agenda des soins doit être intégré dans l’agenda des droits humains et dans celui de la couverture sanitaire universelle, car les femmes ne veulent plus s’occuper seules d’un système « qui ne nous reconnaît pas, qui nous tue, et pas seulement nous, mais qui abandonne aussi les personnes dont nous prenons soin ».
Analía Lorenzo est diplômée en Sciences de la communication de l’Université nationale de Córdoba, en Argentine. Elle est photojournaliste depuis plus de 20 ans. Elle vit actuellement à Mexico, où elle s’est spécialisée dans les questions liées à la santé, au genre et aux droits humains. Son travail en tant que journaliste et pour les ONG lui a permis de couvrir des crises humanitaires (principalement en Amérique latine, même si elle a également étudié les contextes africains) et de concevoir des stratégies de communication basées sur une analyse internationale.