Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires : le multipartisme exige une bonne gouvernance
14 août 2023
14 août 2023
Dans le cadre de la révision à mi-parcours de la Décennie d’action des Nations Unies pour la nutrition (2016-2025), le Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires (UNFSS) a été organisé en septembre 2021 en vue d’accélérer l’action en faveur de systèmes alimentaires plus inclusifs, résilients, équitables, sains et durables. Cependant, des préoccupations ont persisté tout au long du processus, quant à la gouvernance et aux règles de participation qui permettraient aux intérêts de l’industrie alimentaire de saper les objectifs du Sommet. Ces préoccupations ont été signalées au Secrétaire général de l’ONU dans un courrier signé par un Comité ad hoc sur la gouvernance de l’UNFSS, ce qui a donné lieu à un article d’opinion du BMJ co-écrit par certains auteurs impliqués dans le processus de l’UNFSS.
Pour examiner les progrès réalisés depuis 2021, le Bilan 2 ans après le Sommet sur les systèmes alimentaires (UNFSS+2) aura lieu du 24 au 26 juillet 2023 à Rome, en Italie. Mais les problèmes de gouvernance persistent, alors qu’ils n’ont pas reçu de réponse officielle et n’ont même pas été abordés . Parmi les principaux résultats de 2021, citons les engagements pris par les gouvernements, leurs feuilles de route nationales et les coalitions établies pour en soutenir la mise en œuvre. Cependant, le problème de l’ingérence des entreprises dans les systèmes alimentaires n’a pas été correctement abordé. Le Sommet a été « stratégiquement silencieux » à propos du pouvoir des entreprises, tout en faisant progresser des solutions fondées sur l’innovation qui profitent principalement aux grandes entreprises agroalimentaires. Il a également donné aux multinationales de l’alimentation une place prioritaire, en les mobilisant dans divers contextes en amont du Sommet.
« L’UNFSS était censé être ‘le Sommet des peuples’, mais sa gouvernance a systématiquement favorisé les intérêts des entreprises et marginalisé les voix dissidentes. Avec cette réticence à résoudre les conflits d’intérêts, le Sommet était inévitablement voué à l’échec et ne parviendrait pas à relever les principaux enjeux de pouvoir et d’équité. Et le processus a soutenu des initiatives volontaires symboliques plutôt que des efforts significatifs en vue de transformer les systèmes alimentaires. » - Prof. Jeff Collin, Directeur de Santé publique mondiale, Université d’Édimbourg
Ainsi, le Document de contribution des parties prenantes, dit « rapport alternatif », qui constitue l’un des principaux résultats de l’UNFSS+2, a été largement élaboré par les parties prenantes du secteur privé et souligne que « plusieurs parties prenantes du monde des affaires et de l’industrie ont également participé à certaines des coalitions lancées par le Sommet sur les systèmes alimentaires ». Cela renforce les préoccupations de la société civile quant aux conditions de participation de ces coalitions. En outre, le Hub de coordination des systèmes alimentaires des Nations Unies fait du secteur privé un acteur clé, sans mentionner le rôle de la société civile.
L’industrie alimentaire et des boissons (y compris les grandes entreprises agroalimentaires) est de plus en plus concentrée au sein de grandes multinationales qui ont un énorme pouvoir politique, économique et social sur les pays. Ainsi, les 10 plus grandes entreprises du secteur de l’alimentation et des boissons contrôlent 80% des produits alimentaires achetés en magasin dans le monde, avec plus de 100 milliards de dollars de bénéfices combinés chaque année ; et 75% de ces entreprises tirent la majeure partie de leurs revenus des aliments ultra-transformés.
La récente série du Lancet sur les déterminants commerciaux de la santé soutient que ces déséquilibres de pouvoir assurent la mainmise des entreprises sur les politiques publiques, les coûts des activités commerciales étant répercutés sur les États et les sociétés (depuis les dégâts provoqués par ces produits et la perte de biodiversité jusqu’aux autres impacts environnementaux), maximisant ainsi les profits.
Cela est particulièrement préoccupant pour les pays dont les systèmes alimentaires font face à des vulnérabilités spécifiques, notamment les petits États insulaires en développement (PEID), comme le reconnaît la récente Déclaration de Bridgetown sur les MNT et la santé mentale. Dans de nombreux PEID, plus de 80% de la nourriture est importée, et inonde ainsi les systèmes alimentaires de ces îles avec des aliments ultra-transformés très rentables, tout en sapant leur souveraineté alimentaire. Les grandes entreprises alimentaires ont des revenus nets annuels supérieurs au PIB annuel de nombreux PEID, ce qui leur procure un énorme effet de levier qu’elles utilisent pour bloquer les politiques alimentaires et nutritionnelles saines.
« Les délibérations récentes et en cours sur les mises en garde octogonales à l’avant des emballages alimentaires dans les Caraïbes ont mis en lumière le pouvoir important de l’industrie alimentaire régionale et du secteur commercial au sens large. La sécurité alimentaire et nutritionnelle dans les Caraïbes ne sera pleinement atteinte que si les gouvernements s’attaquent vigoureusement aux déterminants commerciaux des MNT liées à l’alimentation, ce qui, à tout le moins, nécessite de solides politiques de lutte contre les conflits d’intérêts dans le cadre d’une bonne gouvernance de la santé publique. » Maisha Hutton, Directrice générale de la Healthy Caribbean Coalition (HCC)
Ces mêmes entreprises habituées à contrecarrer, retarder et affaiblir les politiques alimentaires et nutritionnelles saines sont précisément celles qui sont prioritaires à l’ordre du jour du Sommet sur les systèmes alimentaires. L’objectif 17 des ODD sur les partenariats et l’importance du multipartisme ne doit pas être confondu avec l’absence de conditions de participation et de mécanismes de gouvernance.
Le système onusien peut s’appuyer sur des cadres existants pour ouvrir la voie à des systèmes alimentaires sains, tels que l’orientation des programmes de l’UNICEF relatifs au dialogue avec l’industrie alimentaire. Ce document clé fixe des paramètres clairs pour entamer un dialogue avec l’industrie alimentaire sous l’angle des droits (humains) de l’enfant.
« La santé, la durabilité et la justice sociale sont intrinsèquement liées et devraient être au cœur des discussions sur la transformation des systèmes alimentaires – il n’y a pas de plan(ète) B. Le Brésil discute actuellement d’une réforme fiscale majeure et nécessaire avec les lobbies du Front parlementaire de l’agrobusiness (financé à la fois par les grandes entreprises agroalimentaires et les entreprises d’aliments ultra-transformés), et le risque est qu’ils obtiennent des avantages fiscaux encore plus importants, y compris des subventions aux exportations, au lieu d’incitations en faveur de systèmes agricoles plus sains, plus justes et plus durables, notamment l’agroécologie. » Paula Johns, co-fondatrice et directrice d’ACT Promoção da Saúde
Les grandes entreprises alimentaires, avec leurs associations commerciales et leurs groupes-écrans, ont les ressources nécessaires pour participer directement et faire pression contre les processus du Sommet qui font passer l’intérêt public avant les profits. La société civile est confrontée à un scénario différent, avec des capacités et des ressources limitées pour s’engager dans les processus du Sommet sur les systèmes alimentaires, et une voix tout aussi limitée.
Cela a conduit certains acteurs de la société civile à boycotter le Sommet de 2021 et à organiser des contre-événements, dont la contre-mobilisation des peuples pour transformer les systèmes alimentaires d’entreprise, qui visait à relayer les voix non entendues. Plus récemment, le Groupe international d’experts sur les systèmes alimentaires durables a publié un document réclamant un cadre de responsabilisation des entreprises à l’échelle des Nations Unies en vue de garantir des résultats et d’encourager des espaces de gouvernance autonomes qui donnent la priorité aux voix des communautés les plus touchées par la malnutrition.
« La société civile des MNT est pleinement consciente des déséquilibres de pouvoir et de la mainmise des entreprises qui mettent en échec la transformation, indispensable, des systèmes alimentaires. Après le boycott de l’UNFSS en 2021, des efforts ont été déployés en faveur d’une double stratégie. Il s’agissait, d’une part, de poursuivre la contre-mobilisation afin de contester la gouvernance laxiste qui a favorisé l’ingérence des grandes entreprises ; et d’autre part de renforcer la participation de la société civile afin d’encourager les gouvernements à rejeter les solutions qui perpétuent le même modèle raté que nous essayons de remplacer. » Beatriz Champagne, Coordonnatrice régionale de la Coalition pour une Amérique latine en bonne santé (CLAS)
Le processus de l’UNFSS présente des carences en matière de gouvernance et peine à s’attaquer aux causes profondes des systèmes alimentaires non durables. Ce processus reposait largement sur la production et la quantité des aliments, plutôt que sur la durabilité et la quantité/qualité afin de promouvoir des environnements propices à des régimes alimentaires sains et nutritifs, par exemple par le biais des « meilleurs choix » de l’OMS contre les MNT.
Comme l’a souligné le récent appel du Réseau Santé et Climat en faveur d’une alimentation durable et saine pour tous, les systèmes alimentaires doivent assurer un accès égal à suffisamment de calories provenant d’une alimentation durable et saine grâce à un rééquilibrage du pouvoir et de l’influence, et répondre aux nombreuses voix du monde, y compris les jeunes, les femmes, les peuples autochtones, les petits agriculteurs et les consommateurs.
Les systèmes alimentaires durables et les modèles nutritionnels ont été identifiés comme l’un des six principaux points d’entrée pour le programme de transformation des ODD. Il est urgent de veiller à ce que ces déséquilibres de pouvoir, d’intérêts, de voix et de solutions soient corrigés par des mécanismes de gouvernance à l’échelle des Nations Unies, en s’appuyant sur les cadres existants des Nations Unies pour protéger le processus de l’UNFSS contre les conflits d’intérêts et l’ingérence de l’industrie alimentaire. L’Alliance sur les MNT présentera ces messages avec nous à l’UNFSS+2 la semaine prochaine.
Liz Arnanz (@lizarnanz) est responsable des politiques et du plaidoyer de la NCDA sur la prévention des MNT, en charge de la coordination de notre travail de politique et de plaidoyer sur les principaux facteurs de risque de MNT, les déterminants en amont et la promotion de la santé en général. Auparavant, Liz a travaillé à la Fédération dentaire mondiale FDI, où elle plaidait pour l’intégration de la promotion et des soins de santé bucco-dentaire dans les systèmes de santé, et elle a également travaillé pour l’équipe des partenariats et des membres de la NCDA.